« Le respect par une entreprise des obligations imposées aux articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier pour lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme engendre nécessairement pour elle des coûts supplémentaires. Il en résulte que le fait pour un concurrent de s’en affranchir confère à celui-ci un avantage concurrentiel indu, qui peut être constitutif d’une faute de concurrence déloyale ».
Telle a été la position retenue par les juges de la Cour de cassation le 27 septembre 2023 dans un litige opposant deux sociétés soumises au respect de la réglementation relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (Cass. Com, 27 septembre 2023, n°21-21.995).
Rappel des faits et procédure
Une société spécialisée dans le secteur d’activités auxiliaires de services financiers a assigné un distributeur de cartes bancaires prépayées en France devant la juridiction compétente sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, aux fins de lui enjoindre de déposer et de lui communiquer des pièces.
Sur le fondement de cet article, le distributeur a formulé une demande reconventionnelle et a assigné la société spécialisée aux fins qu’il lui soit enjoint de communiquer des pièces comptables et administratives. En effet, selon le distributeur, la société spécialisée ne respectait pas la réglementation bancaire en vigueur et commettait ainsi un acte de concurrence déloyale.
Par un arrêt du 1er juillet 2021, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a accueilli favorablement la requête du distributeur et condamné sous astreinte la société spécialisée à lui communiquer une situation comptable certifiée conforme par le commissaire aux comptes pour la période du 1er janvier 2020 au 31 juillet 2020 ainsi que le bilan, les comptes de résultat et la liasse fiscale de certains exercices clos. La société spécialisée a formé un pourvoi en cassation. Cette dernière estimait que les conditions d’application de l’article 145 du Code de procédure civile n’étaient pas réunies car l’action au fond envisagée par la partie demanderesse – en l’espèce une action en concurrence déloyale pour non-respect d’une réglementation contraignante en vigueur – ne présentait aucune chance de succès.
Question soumise à l’appréciation de la Cour de cassation
Des mesures d’instruction in futurum peuvent-elles être ordonnées sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile lorsque l’intérêt légitime de la partie demanderesse est caractérisé par la violation éventuelle d’une réglementation en vigueur, ce qui constituerait ainsi un acte de concurrence déloyale pour lequel la recherche de preuve est nécessaire au succès d’une action au fond à venir ?
Le 27 septembre 2023, la Cour de cassation a répondu à la question soumise à son appréciation par la positive. Selon elle, le respect par une entreprise des obligations imposées par le Code monétaire et financier engendre des coûts substantiels. Ainsi, le fait pour un concurrent de s’en affranchir lui procure un avantage concurrentiel indu qui peut être constitutif d’une faute de concurrence déloyale.
Quels sont les enseignements de cet arrêt ?
La constatation d’un acte de concurrence déloyale par manquement à la réglementation dans le cadre d’une activité commerciale n’est pas nouvelle.
Pour autant, l’arrêt en question revêt une importance significative car il autorise les parties demanderesses à argumenter et à prouver la présence d’une raison légitime requise pour l’application de l’article 145 du Code de procédure civile, afin de démontrer l’existence d’un acte de concurrence déloyale découlant du non-respect d’une réglementation en vigueur.
Aussi, les juges réaffirment une fois de plus que l’action en concurrence déloyale fondée sur le non-respect d’une obligation réglementaire présente des perspectives sérieuses de succès devant le tribunal compétent.
D’ailleurs, le 15 avril 2022, le Tribunal judiciaire de Paris avait condamné une société sur le fondement d’un acte de concurrence déloyale pour non-respect du Règlement Général sur la Protection des Données (TJ Paris, 3ème ch., 2ème section, RG 19/12628).
En effet, les juges avaient rappelé que « tout manquement à la réglementation dans l’exercice d’une activité commerciale induit nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur ». Les juges ont expressément fait référence à un litige similaire tranché en 2021, relatif aux non-respects des dispositions en matière de procédures collectives (Cass. Com, 17 mars 2021, n°19-10.414).
Cette solution opportune, saisie pleinement les enjeux du marché économique. A titre d’exemple, la réglementation relative à la protection des données peut, à certains égards, apparaître comme contraignante et, à tout le moins, nécessiter des investissements significatifs. Il en est de même de la réglementation relative à la lutte contre la corruption (Loi Sapin II), ou encore de celles qui exigent un renforcement de la sécurité des réseaux (Directive NIS 2, DORA notamment). Éviter les contraintes et investissements consubstantiels à la prise en compte de ces réglementations pourrait être vu par des entreprises comme un moyen de réaffecter ses ressources (moyens humains, budget, etc.) à d’autres aspects considérés comme générateurs de valeur, tels que sa stratégie marketing ou l’amélioration de sa compétitivité sur son marché économique.
Conclusion
In fine, l’action en concurrence déloyale connaît un nouveau fait fautif : le non-respect des obligations imposées par une réglementation engendrant des coûts supplémentaires pour les entités qui y sont soumises. Cette décision rendue par la Cour de cassation s’inscrit dans une jurisprudence récente mais désormais constante : le non-respect d’une réglementation telle que celle en cause est sanctionné sur le terrain de l’action en concurrence déloyale.
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