Le 14 septembre 2021, le Tribunal de commerce de Marseille a rendu un jugement relatif à l’application d’une clause attributive de compétence aux tribunaux britanniques et à la rupture des relations commerciales établies entre une plateforme de publicité en ligne (la plateforme) et une société cliente (l’annonceur).
Le compte de l’annonceur a été suspendu par la plateforme le 24 avril 2021, au motif que les annonces publiées n’étaient pas conformes à ses politiques éditoriales. L’annonceur a alors assigné la plateforme devant le tribunal de commerce de Marseille, demandant le rétablissement de l’accès au service ainsi qu’un dédommagement du préjudice qu’elle estimait avoir subi. Or, dans les conditions générales de vente de la plateforme acceptées le 28 novembre 2016 par l’annonceur, était stipulée une clause attribuant compétence judiciaire aux tribunaux d’Angleterre et du Pays de Galle.
Une clause attributive de compétence donnant compétence à des tribunaux britanniques est-elle nécessairement valable ? Celle-ci peut-elle créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties ? La suspension discrétionnaire par la plateforme de l’accès au compte de l’annonceur constitue-t-elle une rupture brutale des relations commerciales établies ?
Quel est le droit applicable en présence d’une clause attribuant compétence aux tribunaux britanniques ?
- L’applicabilité des textes européens
Selon le Tribunal de commerce, le règlement n°1215/2012 dit « Bruxelles I bis » relatif à la compétence judiciaire en cas de contentieux contractuel international ne s’applique pas au présent litige puisque l’instance a été introduite postérieurement au 31 décembre 2020, date de prise d’effet du Brexit et à partir de laquelle les instances judiciaires intentées ne sont plus soumises aux dispositions réglementaires de l’Union européenne. Il en va de même pour le règlement n°2019/1150 du 20 juin 2019.
- Loi applicable et compétence du juge français
A défaut d’applicabilité des textes européens, la Convention de La Haye du 30 juin 2005 relative aux accords d’élection de for (ou accords attributifs de compétence) s’applique.
C’est à l’égard de l’article 6 de cette Convention que la clause de compétence est analysée par les juges.
Celui-ci dispose que :
« Tout tribunal d’un Etat contractant autre que celui du tribunal élu sursoit à statuer ou se dessaisit lorsqu’il est saisi d’un litige auquel un accord exclusif d’élection de for s’applique, sauf si (…) : c) donner effet à l’accord aboutirait à une injustice manifeste ou serait manifestement contraire à l’ordre public de l’Etat du tribunal saisi ; (…) ».
L’annonceur défendait que cette clause devait être écartée puisque son application serait manifestement contraire à l’ordre public de l’Etat du tribunal saisi. En raisonnant ainsi, l’annonceur considérait que le régime des ruptures brutales de relations commerciales prévu à l’article L. 442-1 Code de commerce constitue une loi de police impérative de l’ordre juridique français.
Les juges considèrent qu’ils n’ont pas à se dessaisir et que les dispositions de droit français ont lieu de s’appliquer, aux motifs que :
- l’article L. 442-1 du Code de commerce a le caractère d’ordre public, sans se prononcer sur le caractère de loi de police du régime français des ruptures brutales des relations commerciales ;
- la prestation est considérée réalisée au lieu du siège social de l’annonceur, soit à Aix-en-Provence, qui dépend du ressort du Tribunal commercial de Marseille ;
- les conditions générales d’utilisation, au sein desquelles figurait la clause attributive de compétence, acceptées en cochant une case constituaient un contrat d’adhésion. En conséquence, la clause attributive de compétence non négociable créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties eu égard à la distance géographique favorisant le GAFAM et aux « coûts de procédure démesurés ». Elle devait donc être réputée non écrite conformément à l’article 1171 du Code civil.
Pour affirmer qu’un déséquilibre significatif existe entre les droits et obligations des parties, les juges mettent en parallèle d’une part, le statut de géant du web de la plateforme et d’autre part, le capital limité de l’annonceur (à savoir 100 000 euros). Ce dernier serait donc, selon les juges, défavorisé en cas de procédure judiciaire outre-Manche.
L’absence de rupture brutale de relations commerciales établies
La plateforme et l’annonceur ont débuté des relations commerciales le 28 novembre 2016. L’accès au service publicitaire a été suspendu par la plateforme le 24 mars 2021 suite à un courriel du même jour, conformément aux conditions générales d’utilisation de la plateforme, qui prévoient que celle-ci se réserve le droit de refuser ou supprimer une annonce et désactiver un compte à sa seule discrétion.
L’annonceur contestait la suspension d’accès et l’interprétait comme une rupture des relations commerciales établies. Il estimait également que ladite clause créait un équilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
Selon le tribunal, l’annonceur ne pouvait invoquer la rupture brutale des relations commerciales établies du seul fait de son cocontractant, puisqu’aucune réponse n’avait été apportée au courriel de la plateforme et que l’annonceur ne s’était pas mis en conformité aux politiques éditoriales de la plateforme. Le courriel a ainsi eu pour seul effet de suspendre les relations commerciales établies.
Par ailleurs, le compte pouvant être rétabli à tout moment, cette clause « n’est pas constitutive de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ».