En tant qu’actionnaire minoritaire d’une société, il est parfois difficile d’influer sur le processus de décision de cette dernière. En effet, un actionnaire ne détenant qu’une petite partie du capital n’a qu’un droit de vote limité (s’il n’est pas aménagé statutairement) et un droit à l’information par nature circonscrit aux décisions qui sont de la compétence des assemblées d’actionnaires. Toutefois, l’actionnaire peut utiliser des procédures spécifiques lui permettant de lever l’opacité entourant les décisions prises par les dirigeants des sociétés. Nous allons plus particulièrement nous concentrer dans cet article sur la possibilité pour un actionnaire d’une SA ou d’une SAS de recourir à deux types d’expertise.
Une question écrite sur la gestion de la société aux dirigeants, un préalable à l’expertise de gestion
Selon l’article L. 225-231 du Code de commerce, un ou plusieurs actionnaires de SA représentant au moins 5% du capital social peuvent, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, poser des questions écrites aux dirigeants portant sur une ou plusieurs opérations de gestion. Les règles exposées pour les SA valent pour les SAS, en application de l’article L.227-1 du Code de commerce.
Le critère de détention de 5% du capital social s’apprécie au moment de la demande (Cass. com., 6 déc. 2005, n°04-10287).
Il est important de noter que la jurisprudence restreint la possibilité d’interroger les dirigeants à des questions précises (et non pas sur l’ensemble de la gestion de la société), portant sur des décisions de gestion émanant des dirigeants (et non pas des décisions de la compétence des assemblées générales des actionnaires).
La demande devra être adressée au Président du Conseil d’administration ou au Directoire dans une SA (et dans une SAS, à l’organe de décision choisi dans les statuts) par lettre recommandée avec accusé de réception, afin de faire courir le délai d’un mois nécessaire pour initier une expertise de gestion.
Et si les dirigeants ne répondent pas ?
À défaut de réponse dans le délai d’un mois ou si la réponse est insuffisante, les actionnaires peuvent demander en justice la désignation d’un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion (article L.225-231 du Code de commerce).
Cette demande d’expertise de gestion ne peut être accueillie par les juges que si elle présente un caractère sérieux, lequel résulte de l’existence de présomptions d’irrégularités ou d’un risque d’atteinte à l’intérêt social (Cass. Com., 15 juil. 1987, n°86-13.644). Rappelons également que la demande doit porter sur une ou plusieurs opérations de gestion déterminées, et non pas sur la gestion globale de la société. A titre d’exemple, la Cour de cassation a accueilli une demande d’expertise de gestion portant sur les relations entre deux sociétés étroitement liées par leurs dirigeants et leurs associés (Cass. Com., 20 déc. 1988, n° 87-14767 87-15693), mais a rejeté une demande portant sur la politique de gestion de la société en général (Cass., Com, 14 fev. 2006, n°05-11822)
Il est important de rédiger la demande préalable au dirigeant avec soin, car elle conditionne le périmètre de la demande ultérieure d’expertise de gestion (le juge pourrait refuser la demande d’expertise de gestion en cas d’inadéquation entre les deux demandes).
Une autre forme d’expertise empruntée à la procédure civile : expertise in futurum
Cette expertise, également dite expertise préventive, est également ouverte aux associés, ainsi qu’à toute personne intéressée. Cette procédure n’est pas spécifique au droit des sociétés, contrairement à l’expertise de gestion. Elle trouve son fondement dans l’article 145 du Code de procédure civile : « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».
Une telle demande d’expertise doit s’appuyer sur un motif légitime, et est conditionnée par deux éléments : elle doit être faite en vue d’une action future en justice, et l’associé ne doit pas disposer d’éléments suffisants de preuve.
Il est possible de cumuler les deux différentes expertises. En effet, la Cour de cassation a décidé que l’expertise préventive « ne revêt aucun caractère subsidiaire par rapport à l’expertise de gestion » (Cass. Com, 18 oct. 2011, n°10-18989). Il faut cependant se demander avant d’initier une telle procédure si les conditions posées par la jurisprudence peuvent être remplies, et quelle procédure a le plus de chances de succès.
Un récapitulatif des différentes expertises
Expertise de gestion | Expertise in futurum |
Moyen d’information des actionnaires | Mesure d’instruction en vue d’une action en justice |
L’action n’est ouverte qu’aux actionnaires représentant plus de 5% du capital social | Toute personne ayant un intérêt légitime à établir une preuve en vue d’un procès peut agir |
L’expertise ne peut porter que sur une ou plusieurs opérations de gestion précises | L’objet de l’expertise n’est pas limité |
Une question écrite doit être préalablement posée aux dirigeants | Pas de procédure préalable à effectuer pour initier une expertise in futurum |
Frais supportés par la société | Frais en principe à la charge du demandeur |
Publicité du rapport au greffe | Absence de publication |
Ainsi, un actionnaire minoritaire peut obtenir des informations sur la gestion de la société via ces expertises, en respectant une procédure déterminée. Mathias Avocats se tient à votre disposition pour vous conseiller sur la démarche à suivre.