Au regard des articles 434-15-2 du code pénal et 29 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), le code de déverrouillage d’un téléphone portable peut constituer une clé de déchiffrement si ce téléphone est équipé d’un moyen de cryptologie.
Pour caractériser ou écarter l’infraction de refus de communication de la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie, il incombe au juge de rechercher si le téléphone en cause est effectivement équipé d’un tel moyen et si son code de déverrouillage permet de mettre au clair tout ou partie des données cryptées qu’il contient ou auxquelles il donne accès.
Tels sont les enseignements de l’arrêt rendu le 7 novembre dernier par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation (Cass., Ass. Plén., 7 novembre 2022, n° 21-83.146).
Quels sont les faits ?
Une personne placée en garde à vue dans le cadre d’une enquête pour des infractions à la législation sur les stupéfiants refusait de communiquer les codes de déverrouillage de deux smartphones trouvés en sa possession au moment de son interpellation.
A l’issue de sa gare à vue, cette personne a été poursuivie pour détention et offre ou cession de stupéfiants, ainsi que pour refus de remettre la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie eu égard à la non-communication du code de déverrouillage d’un téléphone susceptible d’avoir été utilisé dans le cadre d’un trafic de stupéfiants.
Le prévenu avait été relaxé de ce second chef de poursuites tant en première instance (2018), qu’en appel (2019), les juges considérant que le code de déverrouillage des téléphones portables n’était pas une « convention de déchiffrement d’un moyen de cryptologie ».
Le 13 octobre 2020, la Cour de cassation avait cassé et annulé l’arrêt d’appel en retenant que la position des juges de second degré était formulé de manière générale sans analyse des caractéristiques des smartphones en question (Cass. Crim., 13 octobre 2020, n°19-85.984).
Le 20 avril 2021, la cour d’appel de renvoi a confirmé la relaxe du prévenu et partant, sa position. Cette dernière était motivée par le fait que d’une part, la clé de déverrouillage du téléphone n’intervient pas dans le cadre de l’émission d’un message, et que, d’autre part, ladite clé ne vise pas à rendre incompréhensibles ou compréhensibles des données. Pour les juges du second degré, cette clé de déverrouillage se limite à permettre l’accès aux données et applications installées sur le smartphone, lesquelles peuvent être au cas par cas chiffrées ou non.
En conséquence, le procureur général près la cour d’appel a formé un nouveau pourvoi en cassation, et l’affaire a été finalement tranchée par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 7 novembre dernier. Celle-ci avait donc à répondre aux questions suivantes :
- Le code déverrouillage de l’écran d’accueil d’un téléphone portable peut-il être qualifié de « convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie » au sens de l’article précité du Code pénal ?
- Refuser de communiquer ledit code peut-il constituer une infraction pénale ? Quel est le rôle du juge dans cette qualification ?
Quelle est la qualification du code de déverrouillage d’un téléphone portable ?
L’article 434-15-2 alinéa 1 du Code pénal qui dispose que :
« Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 270 000 € d’amende le fait, pour quiconque ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, de refuser de remettre ladite convention aux autorités judiciaires ou de la mettre en œuvre, sur les réquisitions de ces autorités délivrées en application des titres II et III du livre Ier du code de procédure pénale. ».
En l’espèce, la Cour de cassation retient qu’un code de déverrouillage d’un téléphone portable peut constituer une clé de déchiffrement. Elle ajoute toutefois une condition puisqu’il convient que ce code de déverrouillage soit utilisé pour un téléphone muni d’un moyen de cryptologie.
A cet égard, il convient de rappeler que l’article 29 alinéa 1 de la LCEN définit le moyen de cryptologie comme « tout matériel ou logiciel conçu ou modifié pour transformer des données, qu’il s’agisse d’informations ou de signaux, à l’aide de conventions secrètes ou pour réaliser l’opération inverse avec ou sans convention secrète. Ces moyens de cryptologie ont principalement pour objet de garantir la sécurité du stockage ou de la transmission de données, en permettant d’assurer leur confidentialité, leur authentification ou le contrôle de leur intégrité. ».
Que retenir ?
Il résulte de l’arrêt rendu par la Cour de cassation que le juge doit, pour caractériser ou écarter la commission de l’infraction de refus de communication, procéder à une analyse in concreto des caractéristiques du téléphone en cause pour déterminer s’il est ou non doté d’un moyen de cryptologie.
Le juge doit également s’intéresser à l’effet de l’activation de ce code déverrouillage sur les données contenues dans le téléphone ou auxquelles il donne accès : l’activation dudit code permet-elle d’accéder à tout ou partie des données qui pourraient être chiffrées en clair ?
A la suite de l’arrêt rendu par la Cour de cassation, l’affaire a été renvoyée devant la cour d’appel de Paris qui devra statuer à nouveau.