Un prestataire informatique qui n’informe pas suffisamment son client sur les spécifications de la solution déployée, ne peut pas se prévaloir du procès-verbal de recette signé par le client. En d’autres termes, le prestataire ne peut pas démontrer la conformité de la solution délivrée.
Tel est le principal enseignement d’un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 19 mars 2021 (n°18/20487).
Quels sont les faits ?
Un contrat a été conclu par une société cliente et un prestataire informatique ayant notamment pour objet la concession d’une licence d’utilisation sur un progiciel, ainsi que des prestations d’intégration et de maintenance.
A la suite de problèmes d’interfaçage, la société cliente a indiqué au prestataire que la mise en place d’une nouvelle interface ne devait pas générer de nouveaux développements dans le code source du progiciel, notamment afin que sa maintenance puisse être confiée à un tiers.
A l’issue des interfaçages réalisés, la société cliente a signé le procès-verbal de recette de la solution, permettant sa mise en production.
Un an plus tard, la société cliente a constaté le blocage de flux impactant grandement son activité. Elle a reproché au prestataire le développement et l’installation d’une extension sans son autorisation, en estimant que cette dernière était à l’origine du blocage.
A la suite du rejet de ses demandes par le juge des référés et par le tribunal de commerce de Paris, la société cliente a interjeté appel, en sollicitant notamment :
- la communication des codes sources de l’extension,
- la nullité du contrat (et, à titre subsidiaire, sa résolution),
- la condamnation du prestataire à des dommages intérêts.
Quelle est la solution ?
La cour d’appel de Paris condamne le prestataire au motif qu’il a manqué à son obligation d’information et qu’il n’a pas respecté l’objet même du contrat consistant à adapter le progiciel aux demandes spécifiques du client.
Pour ce faire, elle juge notamment que l’absence d’information du prestataire sur le développement de l’extension litigieuse et sur ses conséquences matérielles et juridiques retirait « au procès-verbal sa force probante quant à la conformité du processus d’interface par rapport à la demande de la société ».
Par conséquent, la cour prononce la résolution du contrat, conduisant à la « remise des parties à leurs situations antérieures ». Elle fait ainsi droit à la demande de la société cliente de restitution des sommes versées au titre du contrat.
En revanche, compte tenu des effets de la résolution, la cour estime que la demande de communication des codes sources de l’extension devient sans objet. Néanmoins, elle enjoint sous astreinte au prestataire de désinstaller l’extension litigieuse afin de pas entraver l’activité du client.
Par ailleurs, la cour accueille favorablement la demande de la société cliente en paiement des sommes correspondant à l’intervention d’un prestataire tiers, afin de pallier les dysfonctionnements causés par l’extension litigieuse.
Obligation d’information : un corollaire nécessaire à l’obligation de délivrance conforme
En matière de contrats informatiques, le prestataire est tenu d’une obligation d’information et d’une obligation de délivrance conforme. A ce titre, rappelons que la délivrance conforme aux spécifications convenues entre les parties peut relever d’une obligation de résultat.
En l’espèce, pour juger que le prestataire a manqué à son obligation d’information et en conséquence, n’a pas délivré une solution conforme au contrat, la cour d’appel relève notamment que :
- Le compte-rendu de la réunion ne faisait pas état de ce que la proposition du prestataire pour l’interfaçage résidait dans une extension qu’il développerait lui-même ni de ce que le client avait donné son accord au développement de cette extension ;
- Le contrat mentionnait uniquement le nom de l’extension dans l’annexe financière sans faire état de sa fonction. Il était dès lors impossible pour le client de savoir que cette extension était spécialement développée par le prestataire et faisait l’objet d’une licence d’utilisation conjointement avec le progiciel ;
- Le procès-verbal de recette comprenait une mention manuscrite « en attente de modifications suites dernier test » et ne précisait pas que l’interface allait être assurée par l’extension litigieuse.
Il résulte de cette appréciation in concreto que la délivrance de l’information ne pouvait pas se déduire de la seule signature par le client du procès-verbal de recette sans réserves.
Obligation d’information : un prérequis à la recette informatique
La recette informatique constitue une étape clef dans la vérification de la conformité de la solution livrée.
D’un point de vue pratique, la signature d’un procès-verbal de recette permet de faire constater les réserves du client quant à la solution livrée, le refus de cette dernière par le client, ou l’accord des parties sur la conformité de la solution aux spécifications convenues.
En cas de défaut ou d’insuffisance d’information délivrée par le prestataire au client quant à la solution objet de la recette, l’accord exprimé par ce dernier se trouve vidé de sa substance. En effet, le client n’est pas en mesure de se prononcer sur la conformité de la solution si ses caractéristiques n’ont pas été portées à sa connaissance.
En conséquence, le respect de l’obligation d’information par le prestataire constitue un prérequis indispensable à la recette informatique et une condition sine qua non de la force probante du procès-verbal.
D’un point de vue opérationnel, le prestataire devra démontrer par tout moyen (compte-rendu de réunion, échanges de courriels, etc.) qu’il a bien fourni au client l’intégralité des informations nécessaires et de manière aisément compréhensible concernant la solution.