Dans une même affaire relative à la rupture abusive de contrats IT, il n’y a pas de cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle lorsqu’une société est assignée sur un fondement délictuel et l’autre sur un fondement contractuel.
Ainsi, la cour d’appel de Paris a t-elle condamné deux sociétés clientes à payer à leur prestataire des dommages et intérêts pour (CA Paris, pôle 5 – ch. 11, 15 janv. 2021, n° 19/15083) :
- rupture brutale de la relation commerciale établie au titre de la responsabilité délictuelle,
- rupture abusive du contrat au titre de la responsabilité contractuelle.
Quels sont les faits ?
Le 1er décembre 2010, deux sociétés d’un groupe spécialisé dans la production d’acier sont entrées en relation contractuelle avec un prestataire pour le développement et l’intégration d’un logiciel sur 42 sites industriels du groupe afin de suivre le transport de produits fabriqués et d’optimiser son coût.
A ce titre, l’une des sociétés du groupe a conclu avec le prestataire un premier contrat pour l’intégration et le paramétrage du logiciel. L’autre société du groupe a conclu avec le prestataire un second contrat pour la licence et la maintenance du logiciel.
Toutefois, par une lettre du 4 décembre 2012, l’une des sociétés a notifié au prestataire l’arrêt de l’utilisation du logiciel ainsi que la résiliation de deux contrats IT. Après une mise en demeure, le prestataire a assigné les deux sociétés devant le tribunal de commerce en vue de l’obtention de dommages et intérêts. A ce titre, il a engagé :
- une action en responsabilité délictuelle au titre de la rupture du contrat de prestation de services sur le fondement de la rupture brutale de la relation commerciale établie (l’ancien article L. 442-6 du code de commerce),
- une action en responsabilité contractuelle au titre de la rupture du contrat de licence et de maintenance sur le fondement de la rupture abusive du contrat (l’ancien article 1134 du code civil).
Quelle est la procédure ?
Après avoir été débouté de ses demandes par le tribunal de commerce, le prestataire a saisi la cour d’appel de Paris. Dans un arrêt du 15 septembre 2017, cette dernière a confirmé le jugement de première instance et déclaré irrecevables les demandes du prestataire en application de la règle du non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle.
Pour rappel, en vertu du principe de non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle, le créancier d’une obligation contractuelle ne peut pas se prévaloir contre le débiteur des règles de la responsabilité délictuelle.
Ainsi, la cour d’appel de Paris a statué que le fournisseur ne pouvait pas alléguer un cumul des actions tant contractuelle que délictuelle concernant les mêmes faits, en l’occurrence la lettre de résiliation des contrats conclus.
Saisie par le fournisseur, la Cour de cassation a cassé et annulé la décision de la cour d’appel dans un arrêt du 26 juin 2019. Elle a estimé que le principe de non-cumul ne s’appliquait pas parce qu’il s’agissait de deux sociétés distinctes (Cass. com., 26 juin 2019, n° 17-26.738).
En d’autres termes, le prestataire était fondé dans ses demandes parce que les actions en responsabilité contractuelle et délictuelle qu’il avait engagées ne visaient pas la même entité juridique.
Quelle est la décision de la cour d’appel de Paris ?
Sur renvoi de la Cour de cassation, la cour d’appel de Paris a statué de nouveau sur le fond.
Elle a estimé que la résiliation des contrats IT en question avait été effectuée sans préavis et n’était pas motivée à défaut de preuve apportée par les sociétés. En effet, ces dernières évoquaient dans des termes généraux les glissements dans les délais initialement prévus, sans caractériser les carences du prestataire dans le développement et la qualité des spécifications du logiciel.
Sont insuffisants pour caractériser les carences du prestataire : une présentation du comité du pilotage, deux courriels adressés au prestataire qui déplorent la qualité des reporting et les dépassements sur les délais convenus aux contrats et des rapports internes sur la prestation fournie par le prestataire.
Concernant la résiliation du contrat de prestation de services, la cour d’appel a notamment retenu l’ampleur et la complexité du projet qui était en cours depuis deux ans pour caractériser l’existence d’une relation commerciale établie. Elle a précisé que le projet consistait à implanter 600 licences sur les 42 sites du groupe et que de ce fait, son aboutissement pouvait dépasser le terme initialement convenu dans le contrat. Par conséquent, le prestataire pouvait espérer une relation suivie et stable.
Tels sont les enseignements, y compris opérationnels, de l’arrêt du 15 janvier 2021 rendu par la cour d’appel de Paris.
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