Lorsque vous publiez une image sur Twitter, vous la partagez avec l’ensemble de vos contacts, qui pourront à leur tour la rendre accessible sur leur compte en la « re-twittant ». Les réseaux sociaux ont une vocation de partage, et incitent fortement les utilisateurs à faire circuler entre eux le contenu qu’ils postent sur la plateforme. Pour autant, comment se traduit ce partage en terme de droits d’auteur ? Vos photos et vos textes publiés sur Twitter ou Facebook vous appartiennent-ils ou appartiennent-ils à tout le monde ?
La décision du 14 janvier 2013, Daniel Morel v. AFP
La question vient d’être posée à un tribunal new-yorkais par un photographe qui a vu ses clichés postés sur Twitter être publiés sans son consentement par les plus grands organismes de presse.
En effet, en janvier 2010, l’un des rares photoreporters présents en Haïti au moment du séisme, Daniel Morel, publie les premiers clichés de la catastrophe sur son compte Twitter. Un utilisateur du réseau social s’approprie les photos, les publie sur son propre compte et les cède à l’Agence France Presse (AFP), qui les cède à son tour à plusieurs médias, comme le Washington Post ou CNN. Les images font ainsi le tour de la presse mondiale, sans que leur auteur y ait consenti et sans que la moindre rémunération lui ait été proposée.
Daniel Morel assigne donc l’AFP et certains organismes de presse pour contrefaçon, autrement dit pour voir reconnaître ses droits d’auteur sur les photos et sanctionner leur exploitation non autorisée.
Par un jugement préliminaire du 14 janvier 2013, le juge new-yorkais se prononce en faveur du photographe et relève que l’AFP n’avait pas le droit d’exploiter les photos publiées sur Twitter en les cédant à d’autres agences de presse. Les suites de l’affaire devraient être examinées dans quelques mois par un jury, notamment en ce qui concerne l’évaluation des dommages et intérêts.
Au premier abord, la décision peut paraître favorable aux droits des utilisateurs de Twitter, puisqu’elle condamne l’exploitation commerciale des clichés de Daniel Morel effectuée sans son autorisation. En effet, le simple fait de publier et de partager les photos ne signifiait pas que le photographe renonçait à ses droits d’auteur, et n’autorisait l’AFP ni à les exploiter ni à les céder à des tiers.
Cependant, la décision repose en grande partie sur la lecture des conditions générales d’utilisation (ci-après CGU) de Twitter. Ces dernières déterminent l’étendue exacte des droits dont disposent les utilisateurs sur le contenu qu’ils publient sur la plateforme, étendue qui se révèle finalement limitée.
Ce que disent les CGU des réseaux sociaux : une propriété partagée
Au moment de votre inscription sur un réseau social, vous adhérez obligatoirement aux CGU du site. Autrement dit, vous acceptez d’un seul clic et sans pouvoir le négocier un contrat déterminé par Twitter, Facebook ou encore Linkedin. Les règles contenues dans ce contrat vont s’imposer à vous durant toute votre utilisation de la plateforme. Souvent cachées derrière un lien hypertexte, rebutantes par leur longueur, les CGU ne sont que trop rarement lues. Pourtant, les conséquences juridiques qu’elles impliquent pour les utilisateurs du réseau social peuvent être considérables, notamment en ce qui concerne la propriété du contenu (photos, texte) qu’ils mettent en ligne.
En effet, les CGU des réseaux sociaux les plus importants, tels Twitter, Facebook, Linkedin ou encore Second Life présentent une stratégie similaire d’appropriation du contenu publié par leurs utilisateurs. Cette stratégie a été mise en évidence ces dernières années par des changements unilatéraux et récurrents de leurs clauses.
Dans le cas qui était soumis au Tribunal de New-York et en ce qui concerne Twitter, les CGU stipulent que l’utilisateur conserve ses droits sur tous les contenus qu’il publie. En d’autres termes, ce qui est à vous reste à vous, et vous restez propriétaire des textes et des photos que vous soumettez à vos contacts par l’intermédiaire de Twitter. Cette affirmation préalable des droits que chaque utilisateur détient sur le contenu qu’il publie n’est pas spécifique à Twitter et se retrouve fréquemment dans les CGU des réseaux sociaux.
Cependant et après une telle affirmation, la suite de la clause réserve quelques surprises. En effet, il s’avère en fait que vous n’êtes pas le seul propriétaire du contenu que vous postez : lorsque vous acceptez les CGU, vous accordez automatiquement au réseau social et à ses partenaires le droit de modifier et d’utiliser gratuitement et dans le monde entier chaque texte et chaque image que vous publiez. Concrètement, les CGU vous autorisent à partager sur le réseau tout contenu publié par un autre utilisateur, mais pas à l’exploiter en dehors de la plateforme, sauf à en demander l’autorisation à son auteur… et à Twitter, Facebook ou tout autre média social avec lequel vous avec contracté les termes d’utilisation.
Ce n’est pas tout : vous consentez également à ce que le réseau social et ses partenaires puissent accorder des sous-licences, c’est-à-dire mettre à la disposition de tiers le droit d’utiliser tout ce que vous publiez sur le réseau social. Il y a donc plusieurs propriétaires de droits de propriété intellectuelle sur le contenu que vous publiez : vous, le réseau social et ses partenaires, ainsi que tous ceux à qui des sous-licences auront été accordées.
Pour exemple, TwitPic, l’application facilitant le partage des photos sur Twitter, a conclu en 2011 un contrat de sous-licence exclusive avec l’agence de photo Wenn. Cette dernière peut donc désormais exploiter et modifier toutes les images postées par les utilisateurs du réseau, qui l’ont implicitement accepté lors de leur inscription sur la plateforme.
Une telle exploitation commerciale du contenu mis en ligne par le biais de sous-licences s’est intensifiée ces dernières années. Dernière en date et quatre mois après son rachat par Facebook, Instagram a inclus dans ses CGU le 16 janvier 2013 une sous-licence l’autorisant à monnayer vos données personnelles (portrait, photos, nom d’utilisateur) auprès d’autres sociétés et ce, à des fins publicitaires.
A la lecture des CGU et au fil de leurs modifications, il existe donc un risque important de perdre le contrôle de l’utilisation du contenu que vous mettez en ligne sur le réseau.
Ces CGU sont-elles conformes au droit français ?
En cas de différend judiciaire en France, les CGU des réseaux sociaux pourraient se heurter à la fois au droit d’auteur et au droit de la consommation.
Concernant le droit d’auteur, les lois françaises s’appliquent en principe à toute création, y compris si elle est diffusée par les réseaux sociaux : c’est l’auteur qui, du seul fait de la création de son oeuvre, est titulaire de droits. En ce sens, les CGU des réseaux sociaux respectent le droit français lorsqu’elles stipulent que vous conservez vos droits sur tous les contenus que vous soumettez, postez ou publiez sur ou par l’intermédiaire de la plateforme.
En revanche, la licence illimitée à laquelle vous consentez généralement s’accorde mal avec les lois françaises sur le droit d’auteur. En effet, une telle licence illimitée dans le temps et dans l’espace contrevient aux dispositions du Code de la propriété intellectuelle. Une décision d’un tribunal allemand du 6 mars 2012 a d’ailleurs considéré qu’une licence similaire contenue dans les CGU de Facebook, automatique et illimitée, était contraire au droit d’auteur allemand.
Enfin, le droit de la consommation pourrait également être invoqué à l’encontre de ces licences, dans la mesure où l’utilisateur du réseau ne se serait pas engagé en pleine connaissance de cause à autoriser l’exploitation de ses droits d’auteur.
La Cour d’appel de Pau, dans un arrêt du 23 mars 2012, a pu juger que la clause attributive de compétence au profit des juridictions américaines contenue dans les CGU de Facebook était réputée non-écrite. Les juges ont en effet considéré que cette clause était « noyée dans de très nombreuses dispositions », inscrite en petits caractères et difficilement lisible sur un écran d’ordinateur, ce qui ne permettait pas de vérifier l’engagement en pleine connaissance de cause de l’internaute. En outre, le simple clic d’acceptation des CGU ne permettant pas de vérifier que l’utilisateur avait bien identifié et lu la clause, il ne pouvait être assimilé à une signature électronique et donc à son consentement plein et éclairé. Une telle motivation serait tout à fait transposable à la clause des CGU sur l’étendue de la licence accordée par l’utilisateur sur ses droits d’auteur.
Il convient donc de rester prudent lors de la publication d’un contenu sur les réseaux sociaux et de lire leurs CGU, qui méritent largement le coup d’oeil…