Le 4 octobre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation a eu l’occasion de trancher un litige opposant une salariée licenciée pour faute grave et son employeur. Cet arrêt rappelle la difficile conciliation entre le droit à la preuve de l’employeur et le droit fondamental au respect à la vie privée du salarié (Cass. Soc., 04 octobre 2023, n°21-25.452).
Rappel des faits et procédure
Engagée en qualité d’infirmière au sein d’un hôpital, une salariée a été licenciée pour faute grave en décembre 2016. Son employeur lui reprochait la consommation et l’introduction d’alcool au sein de l’hôpital ainsi que la participation à une séance photo en maillot de bain dans le service des urgences.
Pour justifier le licenciement, l’employeur avait soumis à la juridiction prud’homale des messages et photos échangés sur un groupe « Messenger » privé entre cette dernière et ses collègues.
La salariée licenciée avait soulevé l’irrecevabilité des pièces communiquées et notamment celles relatives aux échanges d’images et photos sur le groupe privé « Messenger » et ce, sur le fondement de la violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« CSDHLF ») relatif au respect du droit à la vie privée.
Déboutée de ses demandes en première instance et en appel, l’ancienne salariée s’est pourvue en cassation. Elle faisait valoir qu’en ne vérifiant pas le caractère professionnel des messages versés aux débats, la Cour d’appel avait violé les articles 6 (droit au procès équitable) et 8 (droit au respect à la vie privée) de la CSDHLF ainsi que les articles 9 du Code civil et du Code de procédure civile. Elle arguait également que la Cour d’appel n’avait pas apprécié in concreto si la communication de photographies privées, issues d’un groupe « Messenger » privé et sans autorisation de la personne concernée était une atteinte indispensable à l’exercice du droit de la défense de l’employeur et était proportionné au but recherché.
Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle eu à examiner si le droit d’un employeur d’utiliser des messages et des photos partagés sur un groupe Messenger privé pour justifier un licenciement pour faute grave peut primer sur le droit au respect de la vie privée du salarié licencié.
Confirmation de l’autorisation d’utiliser un moyen de preuve illicite sous conditions
Le 4 octobre 2023, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la salariée licenciée.
La Haute juridiction énonce qu’en vertu des articles 6 et 8 de la CSDHLF, l’utilisation d’un moyen de preuve illicite n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats. Le droit à la preuve de l’employeur peut ainsi primer sur le droit au respect de la vie privée du salarié, à condition que la production de la preuve soit indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que cette atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Cette nouvelle décision de la Cour de cassation s’inscrit dans la lignée de sa jurisprudence en la matière.
En effet, en septembre 2020, la Haute juridiction avait déjà énoncé que :
« il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. » (Cass., soc., 30 septembre 2020, n°19-12.058)
Les juges de la Cour de cassation ont eu un raisonnement similaire à celui mobilisé début octobre, concernant le licenciement d’une salariée ayant publié sur son compte privé Facebook une photographie d’une nouvelle collection qui devait être présentée exclusivement aux commerciaux. La Cour avait notamment pris en compte la protection du secret des affaires de la société lésée pour légitimer l’atteinte au droit au respect de la vie privée de la salariée.
Dans l’arrêt du 4 octobre 2023, les juges ont estimé que l’intérêt légitime en cause à faire prévaloir sur le droit au respect de la privée est la protection des patients, en s’appuyant sur les éléments constatés par la Cour d’appel :
- attestation d’une aide-soignante que quatre infirmières du service de nuit, dont la salariée licenciée, s’adonnaient à la consommation d’alcool au sein de l’hôpital, dans le cadre de soirées festives, parfois pendant la durée du service,
- alerte donnée par une autre des collègues du service, ayant confirmé, sous couvert d’anonymat, la consommation d’alcool et dénoncé des mauvais traitements infligés alors aux patients,
- échanges sur les réseaux sociaux auxquels la salariée avait participé et qui démontraient sa participation à des soirées alcoolisées et que l’ouverture des vestiaires le 07 février 2017 avait également démontré la consommation d’alcool au sein du service puisqu’il avait été découvert une liste de denrées et de boissons à apporter par les différents membres de l’équipe afin d’organiser lesdites soirées.
La Cour a également précisé que le caractère professionnel des photographies litigieuses devait être qualifié dès lors que lesdites photos ont été prises sur le lieu de travail, pendant le temps de travail et étaient à destination d’une ancienne collègue de travail. Ces différents facteurs ont conduit les juges a présumer le caractère professionnel des photos et ainsi, la possibilité pour l’employeur de les produire en justice.
Quelque questions en suspens
Il est intéressant de souligner que les juges ne précisent pas comment l’employeur a eu accès aux différents messages. En effet, la jurisprudence constante requiert de ce dernier qu’il ait obtenu la preuve spontanément, sans avoir recours à un stratagème (Cass., soc., 30 septembre 2020, n°19-12.058). Cette condition pour l’admissibilité de la preuve est-elle sur le point de disparaître ? S’agit-il simplement d’une omission de la décision de ne pas spécifier les moyens par lesquels l’employeur a obtenu les éléments de preuve ?
Il est également possible de s’interroger sur la qualification donnée par la Cour de cassation aux photos partagées sur un réseau social privé. Faut-il conclure que la simple prise de photos sur le lieu de travail et pendant les heures de travail leur confère automatiquement un caractère professionnel ? Cette jurisprudence sera-t-elle applicable lorsque ces photos sont prises avec un téléphone personnel ?
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