Par un jugement du 23 juillet 2021, le Conseil de prud’hommes de Meaux, dans sa formation de départage, a estimé que le licenciement d’une salariée fondé sur la consultation à son insu de messages provenant de sa messagerie Facebook (Messenger) était sans cause réelle et sérieuse. A ce titre, elle a condamné l’employeur au paiement de dommages et intérêts, tant en raison du caractère abusif du licenciement que d’une atteinte à la vie privée de la salariée.
Dans cette décision, la juridiction échevinale revient sur les modalités de production en justice de messages provenant d’une messagerie en ligne, au regard des principes de loyauté de la preuve et de secret des correspondances.
Quels sont les faits ?
Une salariée en arrêt maladie a communiqué à son employeur le mot de passe de son ordinateur professionnel en vue de la récupération et du transfert de documents professionnels.
Lors de l’ouverture du navigateur web par les salariés missionnés pour récupérer et transférer lesdits documents, la session Messenger de la salariée s’est ouverte, faisant apparaitre une conversation de groupe au sein de laquelle ses membres tenaient des propos « dégradants, insultants voire discriminants » à propos de leurs collègues et managers.
La direction de l’employeur a reçu communication de cette conversation et a procédé au licenciement pour cause réelle et sérieuse de la salariée.
La salariée a assigné l’employeur devant le Conseil des prud’hommes de Meaux, en invoquant notamment le caractère abusif du licenciement et le caractère déloyal de la preuve apportée en raison d’une atteinte à sa vie privée. A ce titre, la salariée a sollicité, à titre principal, une indemnisation équivalant à 36 mois de salaire, ainsi que le paiement d’une somme de 5 000 euros au titre du préjudice résultant de la violation de sa vie privée.
Discussions issues de la messagerie personnelle : une preuve déloyale
Le Conseil de prud’hommes rappelle qu’aux termes de l’article L1232-1 du Code du travail, tout licenciement doit être motivé par une cause réelle et sérieuse dont il appartient à l’employeur de rapporter la preuve par tous moyens, à condition que cette dernière soit licite et loyale.
Il est également rappelé que le salarié a droit, y compris sur son temps et son lieu de travail, au respect de sa vie privée et au secret de ses correspondances suivant la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942, arrêt Nikon ; Ch. mixte, 18 mai 2007, n° 05-40.803).
Doivent dès lors être distingués :
- D’une part, les courriels adressés par un salarié à l’aide de l’outil professionnel mis à sa disposition pour les besoins de son activité et non identifiés comme étant personnels. Ils sont présumés avoir un caractère professionnel et peuvent être consultés par l’employeur hors la présence du salarié (Soc., 18 octobre 2006, n° 04-48.025).
- D’autre part, les messages reçus et émis par le salarié sur sa messagerie personnelle, distincte de sa messagerie professionnelle, lesquels sont couverts par le secret des correspondances et ne sauraient être produits en justice (Soc., 23 octobre 2019, 17-28.448).
S’agissant d’une discussion Messenger intégrée à la session Facebook de la salariée sur son ordinateur professionnel, le Conseil de prud’hommes précise qu’elle est nécessairement couverte par le secret des correspondances.
En effet, le Conseil constate que (i) la salariée n’a pas donné son accord quant à la consultation de ces messages, et que (ii) ces messages n’étaient pas accessibles au public à l’instar des publications sur le « mur » Facebook des utilisateurs. Rappelons que le mur « Facebook » peut être un espace présumé public ou privé en fonction des paramétrages du compte permettant notamment d’en restreindre l’accès à une communauté de personnes préalablement agréées (Soc., 12 septembre 2018, n° 16-11.690).
En l’espèce, le Conseil conclut que « les messages ainsi récupérés en l’absence de la salariée et même si ceux-ci n’étaient pas protégés par un mot de passe, ne peuvent, sous peine de porter atteinte au secret des correspondances, être produits en justice et fonder un licenciement ».
Faute de preuve, le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse et l’employeur est condamné à verser à la salariée 42 935 euros de dommages et intérêts.
Consultation de messages privés par l’employeur : une atteinte à la vie privée du salarié
Il résulte des articles 9 du Code civil et L1121-1 du Code du travail que chacun a droit au respect de sa vie privée et qu’aucune restriction, qui ne serait ni justifiée par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché, ne peut être portée à ce droit.
A ce titre, la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur l’extraction d’informations du compte Facebook d’une salariée par un huissier de justice à partir du téléphone mobile d’un collègue (Soc., 20 décembre 2017, n° 16-19.609).
Afin d’écarter des débats le procès-verbal de constat d’huissier, la Cour a constaté que les informations recueillies étaient réservées aux « amis » Facebook de la salariée et qu’une telle utilisation portait une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée de cette dernière.
En l’espèce, le Conseil de prud’hommes relève que l’accès aux conversations Messenger de la salariée n’est pas justifié par un motif impérieux et ne découle pas d’une démarche volontaire de cette dernière bien qu’elle n’ait pas préservé la confidentialité de ses correspondances par un mot de passe.
Il est dès lors jugé que la consultation, l’extraction et la production de conversations Messenger en justice portent atteinte à la vie privée de la salariée.
Le préjudice résultant de l’atteinte à la vie privée étant distinct de celui résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse, le Conseil des prud’hommes alloue à la salariée 2 000 euros de dommages et intérêts.
Que retenir ?
Contrairement aux fichiers informatiques devant être explicitement identifiés comme personnels afin d’échapper à la présomption du caractère professionnel, les messageries personnelles en ligne semblent bénéficier de cette présomption par défaut en raison de la nature nécessairement privée des échanges.
Néanmoins, l’application de cette présomption pourrait être questionnée au regard de la pratique consistant à utiliser des messageries en ligne tant à des fins personnelles que professionnelles.
En tout état de cause, il semble important, tant pour les salariés que pour l’entreprise, d’encadrer l’usage des outils professionnels à des fins personnelles, notamment au moyen d’une charte informatique ayant pour objet de rappeler les règles d’utilisation et de sécurité informatique.