Des images issues d’un système de vidéosurveillance installées aux fins d’assurer la sécurité des personnes et des biens constituent-elles un moyen de preuve licite pour démontrer la faute grave d’un salarié fondant un licenciement ? S’il s’agit d’un moyen de preuve illicite, ces images doivent-elles pour autant être écartées des débats en toutes hypothèses ?
Dans un arrêt du 10 novembre 2021, la Chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur ces questions (Cass. soc., 10 novembre 2021, n°20-12.263).
Quels sont les faits ?
Une salariée employée en qualité de caissière dans une pharmacie de Mayotte avait été licenciée, en juillet 2016, pour faute grave en raison de fraudes et de négligences qualifiées de graves et répétées. La preuve des faits reprochés à la salariée résidait dans la production de récapitulatifs de caisse et d’enregistrements issus du dispositif de vidéosurveillance installé dans la pharmacie.
Les salariés avaient été informés de l’installation du dispositif de vidéosurveillance par une note de service diffusée postérieurement à la mise en place des caméras. Cette note précisait que ledit dispositif permettait d’assurer la sécurité des personnes et des biens.
La salariée a saisi la juridiction prud’homale pour contester son licenciement et obtenir des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. En appel, la Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion avait jugé le licenciement fondé et débouté la salariée de ses demandes. Cette dernière s’était pourvue en cassation.
Quelles modalités respecter avant l’installation d’un dispositif de vidéosurveillance aux fins de contrôle de l’activité des salariés ?
La Cour de cassation s’appuie sur l’article 32 de loi n°78-17 du 6 janvier 1978 dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du RGPD pour souligner que les salariés de la pharmacie auraient du être informés avant la mise en œuvre du traitement de données à caractère personnel.
Toutefois, en l’espèce, la note d’information avait été diffusée aux salariés postérieurement à la mise en place des caméras de vidéosurveillance. De plus, elle ne contenait pas l’ensemble des éléments d’information puisqu’elle se limitait à préciser l’emplacement des caméras et le fait qu’elles avaient été installées pour garantir la sécurité et prévenir les atteintes aux personnes et aux biens. Enfin, la note n’indiquait pas les enregistrements pouvaient être utilisés à des fins de contrôle de l’activité des salariés.
La Cour de cassation s’appuie ensuite sur l’article L442-2 du Code du travail, dans sa version applicable entre le 1er janvier 2016 et le 1er janvier 2018 à Mayotte, pour rappeler que le comité d’entreprise (désormais comité social et économique) aurait du être informé et consulté préalablement à la décision de mise en œuvre de techniques permettant le contrôle de l’activité des salariés. en l’espèce, tel n’avait pas été le cas.
Dans ce contexte, selon la Cour de cassation, la Cour d’appel aurait du déduire de ces constats que l’employeur n’avait pas accompli les démarches nécessaires lui permettant d’utiliser les enregistrements issus du dispositif de vidéosurveillance de manière licite dans le cadre de la procédure de licenciement.
A quelles conditions des images de vidéosurveillance obtenues de manière illicite peuvent-elles être utilisées à titre de preuve ?
La Cour de cassation juge que :
« l’illicéité d’un moyen de preuve, […], n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».
Ainsi une preuve obtenue de manière illicite peut-elle être recevable dès lors :
- qu’une mise en balance entre le droit à la preuve et le droit au respect de la vie privée est réalisée et,
- qu’il résulte de ladite mise en balance que l’atteinte à la vie privée est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et,
- que l’atteinte à la vie privée est strictement proportionnée au but poursuivi.
En l’espèce, alors que les enregistrements issus du dispositifs de vidéosurveillance constituaient un moyen de preuve illicite, à défaut d’accomplissement des démarches exigées par la réglementation, la Cour d’appel aurait du réaliser une mise en balance du droit au respect de la vie privée et du droit à la preuve.
Que retenir ?
L’arrêt a été rendu au visa de l’article 32 de la loi informatique et libertés dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du RGPD. Toutefois, l’obligation d’information des personnes concernées est également définie par le RGPD. Il est donc probable que la position de la Cour de cassation aurait été la même s’agissant de faits postérieurs à l’entrée en vigueur de ce texte.
En outre, cet arrêt de la Cour de cassation s’inscrit dans la lignée de la décision rendue le 25 novembre 2020 par cette même Chambre sociale (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 novembre 2020, 17-19.523).
La rupture avec la jurisprudence antérieure selon laquelle les moyens de preuve tirés de dispositifs de sécurité ne respectant pas les prescriptions prévues par la loi constituaient des moyens de preuve illicites et étaient écartés des débats sans qu’il ne soit question de mise en balance entre le droit à la preuve et le droit au respect de la vie privée semble donc se confirmer (Cass. Soc., 7 juin 2006, n°04-43.866,Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 10 janvier 2012, 10-23.482, Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 11 décembre 2019, 18-11.792).
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