A l’occasion d’un jugement en date du 23 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Marseille a condamné une société pour contrefaçon par reproduction non autorisée de codes sources et pour concurrence déloyale.
Ce jugement est l’occasion de revenir sur l’originalité d’un logiciel, ainsi que la caractérisation de sa contrefaçon.
Quels sont les faits ?
La société demanderesse édite une solution de gestion des entrepôts. Le responsable du support de cette solution a quitté l’entreprise, avec plusieurs autres salariés, pour fonder une société concurrente exerçant une activité similaire.
Les deux sociétés étaient initialement liées par deux contrats :
- Un contrat de prestation de services au titre duquel la société demanderesse confiait la sous-traitance de certaines prestations à la société défenderesse, et
- Un contrat d’apporteur d’affaires portant sur un seul client en application duquel la société défenderesse a été rémunérée par la société demanderesse.
Entre 2014 et 2016, la société demanderesse a constaté que plusieurs de ses clients ont mis un terme à leur collaboration et se sont tournés vers la société défenderesse. En outre, la société demanderesse a été informée de ce que cette dernière était en possession des codes sources de sa solution. Des analyses internes et deux rapports techniques privés diligentés par la société demanderesse ont confirmé l’identité des codes sources entre la solution de la société demanderesse et celle de la société défenderesse.
Le tribunal judiciaire de Marseille a condamné la société défenderesse à plus de trois millions d’euros de dommages et intérêts pour contrefaçon et 30 000 euros de dommages et intérêts pour concurrence déloyale. Le tribunal a par ailleurs ordonné la cessation de toute reproduction et utilisation des codes sources, ainsi que leur suppression et la désinstallation de la solution de l’ensemble des serveurs et postes informatiques.
Les conditions du succès de l’action en contrefaçon
Aux termes de l’article L112-2 13°, « les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire » sont protégés par le droit d’auteur. A ce titre, le juge relève que le code source d’un logiciel est une forme d’expression de celui-ci et qu’il est par conséquent protégé par le droit d’auteur.
Pour bénéficier de cette protection, le logiciel doit être identifié et être original.
- L’identification du logiciel
En l’espèce, les codes sources ont fait l’objet d’un dépôt par la société demanderesse auprès de l’Agence pour la protection des programmes (APP). L’œuvre est donc identifiée.
- L’originalité du logiciel
Pour constater l’originalité du logiciel, le tribunal analyse les divers choix opérés par la société demanderesse au moment de sa conception et notamment :
Une forte interopérabilité du logiciel avec les systèmes d’information des clients et partenaires par l’utilisation d’un format d’échange de données unique et original,
L’utilisation d’un langage de développement différent de celui employé par ses concurrents,
Le choix de permettre aux utilisateurs de personnaliser eux-mêmes le logiciel, contrairement à ce qui est pratiqué par ses concurrents, dans la mesure où cette personnalisation ne requiert pas de compétence technique ou informatique.
- La titularité des droits sur le logiciel
Aux termes de l’article L113-1 du Code de la propriété intellectuelle, est titulaire des droits celui sous le nom duquel l’œuvre est divulguée. Une personne morale peut en être investie dès lors qu’elle commercialise une œuvre sous son nom.
En l’espèce, la société demanderesse produit deux certificats délivrés par l’APP en 2006 et en 2010, ainsi que des factures de commercialisation. En outre, la défenderesse reconnait dans ses conclusions que la demanderesse édite et commercialise le logiciel.
Dès lors, le tribunal en conclut que la société demanderesse est titulaire des droits d’auteur sur le logiciel.
- La caractérisation de la contrefaçon
Il résulte de l’article L122-6 du Code de la propriété intellectuelle que « le droit d’exploitation appartenant à l’auteur d’un logiciel comprend le droit d’effectuer et d’autoriser : 1° la reproduction permanente ou provisoire d’un logiciel ».
Pour constater les faits matériels de contrefaçon, le tribunal s’appuie sur divers échanges de mails au sein de la société défenderesse, démontrant que cette dernière était en possession des codes sources litigieux.
Il relève également qu’aucune convention autorisant la société défenderesse à reproduire et utiliser les codes sources n’a été conclue entre les deux parties.
Les faits de contrefaçon sont dès lors caractérisés.
Quelles sanctions en cas de contrefaçon de codes sources ?
- Les dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon
Aux termes de l’article L331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle, les juges prennent en compte les éléments suivants dans le cadre de la fixation des dommages et intérêts :
« 1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits ».
A ce titre, le tribunal condamne la société défenderesse au paiement de plus de 3 millions d’euros de dommages et intérêts pour contrefaçon, décomposés comme suit :
2 054 806.06 euros en réparation du préjudice consécutif à la perte de chiffre d’affaires pour la société demanderesse. En effet, cette dernière produisait des lettres de résiliation reçues de différents clients.
814 000 euros au titre des économies faites par la société défenderesse. En effet, la société demanderesse produisait une attestation de son directeur administratif et financier estimant à 814 000 euros la valeur comptable de la recherche et développement du logiciel, coût dont la société défenderesse a fait l’économie en se livrant à des actes de contrefaçon.
30 000 euros au titre du préjudice moral constitué par la dévalorisation du savoir-faire de la société défenderesse et la banalisation de son œuvre.
- L’injonction de cesser les actes de contrefaçon
En application de l’article L331-1-4 du Code de la propriété intellectuelle, le tribunal ordonne à la société défenderesse de cesser toute reproduction et utilisation des codes sources et de supprimer et désinstaller la solution de l’ensemble des serveurs et postes informatiques, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard.
Quelle concurrence déloyale ?
Pour condamner la société défenderesse sur le fondement de la concurrence déloyale, le tribunal relève que 9 anciens salariés de la société demanderesse, employés au développement du logiciel en cause, ont été recrutés par la société défenderesse. Par ailleurs, il est constaté que la société défenderesse utilisait la dénomination de la société demanderesse dans ses supports de formation, lesquels étaient dérivés de ceux produits par la société demanderesse.
Ces agissements étant constitutifs d’actes de concurrence déloyale, distincts des actes de contrefaçon, la société défenderesse est condamnée au paiement de 30 000 euros de dommages et intérêts sur ce fondement.
Que retenir ?
Bien que la contrefaçon des logiciels puisse être prouvée par tout moyen en vertu de l’article L332-4 du Code de la propriété intellectuelle, la présente décision rappelle l’efficacité du dépôt auprès de l’APP. En effet, cette formalité permet de démontrer la titularité des droits sur un logiciel, ainsi que d’organiser l’accès aux codes sources par des tiers.
En outre, le jugement met en exergue l’intérêt du fondement de la contrefaçon quant aux modalités de calcul des dommages et intérêts.
Contrairement à l’action fondée sur la violation des conditions contractuelles d’une licence, les dommages et intérêts peuvent inclure le manque à gagner, la perte subie, ainsi que les bénéfices réalisés par le contrefacteur. Par ailleurs, ces dommages et intérêts ne sont pas soumis à un plafond de responsabilité qui pourrait être fixé par le contrat.
Enfin, s’agissant d’une décision de première instance, cette dernière pourra faire l’objet d’une confirmation ou d’une infirmation par la cour d’appel, y compris sur le quantum de la condamnation.