Une société éditant et exploitant un site Internet centralisant des annonces de vente de véhicules d’occasion a été condamnée par le Tribunal judiciaire de Paris pour atteinte au droit du producteur d’une base de données en ce qu’elle diffusait les annonces publiées sur le site Internet d’une autre société leader dans le secteur des annonces de vente de véhicules d’occasion (TJ Paris, 3ème ch. – 1ère section, 8 juillet 2021).
Quelles sont les conditions à satisfaire pour invoquer la qualité de producteur de base de données ? Quels sont les éléments à prendre en compte pour évaluer le caractère substantiel d’une extraction de base de données ?
Quels sont les faits ?
La société demanderesse édite et exploite un site Internet dédié aux annonces de véhicules d’occasion. Par le biais de son site, les vendeurs professionnels et les particuliers peuvent publier des annonces renseignant les caractéristiques des véhicules proposés à la vente (marque, modèle de véhicule, prix, localisation…). La société demanderesse vérifie ensuite l’exactitude des données renseignées, notamment à l’aide de la base de données SIVIN relatives aux cartes grises des véhicules et du service « Auto-Visa » permettant de constituer des rapports historiques des véhicules.
Les annonces sont ensuite indexées par la société demanderesse et rendues accessibles au public par le biais de son site Internet, notamment par l’intermédiaire d’un moteur de recherche permettant au public de renseigner les critères déterminants et d’obtenir des résultats pertinents au regard des critères établis.
La société défenderesse exploite également un site Internet dédié à la vente de véhicules d’occasion. Il recense les annonces publiées sur des sites tiers, notamment celui de la société demanderesse, et offre au public un service de moteur de recherche. Au terme de la recherche, les annonces publiées sur les sites tiers sont affichées à l’utilisateur. Sont reproduits une photographie du véhicule, la marque, le modèle, la catégorie et la couleur du véhicule, l’année de construction, le kilométrage, le type d’énergie utilisée, le type de boitier et le nombre de portes. Un lien hypertexte renvoie l’utilisateur vers le site de la publication initiale de l’annonce si ce dernier souhaite contacter le vendeur.
La société demanderesse a assigné la société défenderesse devant le Tribunal judiciaire de Paris pour atteinte à ses droits de producteur de base de données et parasitisme. A l’issue de la procédure, la société défenderesse a été condamnée au paiement de 50 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice subi par la société demanderesse en raison de l’atteinte portée à ses droits de producteur de base de données et s’est vu interdire de procéder à toute nouvelle extraction et/ou réutilisation des données.
Le débat portait sur la reconnaissance de la qualité de producteur de base de données à la société demanderesse et sur l’illicéité des extractions et réutilisations effectuées par la société défenderesse.
La qualité de producteur de base de données
L’article L341-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « Le producteur d’une base de données, entendu comme la personne qui prend l’initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel ».
Le droit sui generis du producteur de base de données permet à la personne qui en est titulaire d’interdire l’extraction et la réutilisation du contenu de la base de données dans les conditions prévues à la loi (Code de la propriété intellectuelle, articles L342-1 et suivants).
En l’espèce, la société demanderesse estimait avoir la qualité de producteur de base de données au regard des investissements qu’elle a effectués.
A l’inverse, la société défenderesse estimait que les investissements réalisés par la société demanderesse pour établir les annonces automobiles étaient sans lien avec la constitution, la vérification ou la présentation du contenu d’une base de données. Elle considérait que ces investissements avaient trait à la création des éléments constitutifs du contenu même de la base de données, c’est-à-dire des annonces.
Le Tribunal rappelle que le site Internet exploité par la société demanderesse constitue une base de données au sens de l’article L112-3 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle en ce qu’il recueille des informations « indépendantes les unes des autres et accessibles individuellement par les internautes ». Ces dernières sont affichées de manière méthodique ou systématique puisqu’une fonctionnalité du site Internet permet aux utilisateurs de choisir des critères d’affichage.
Par ailleurs, le Tribunal se fonde sur la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (devenue la Cour de justice de l’Union européenne) selon laquelle :
- Les investissements liés à l’obtention du contenu s’entendent des moyens mis en œuvre pour la recherche d’éléments existants et leur rassemblement dans la base de données, à l’exclusion des moyens mis en œuvre pour la création des éléments constitutifs du contenu de ladite base,
- Les investissements liés à la vérification du contenu de la base de données s’entendent des moyens mis en œuvre aux fins d’assurer la fiabilité des informations contenues dans la base et de contrôler l’exactitude des éléments recherchés lors de la constitution et du fonctionnement de la base. Sont exclus les investissements réalisés en vue de vérifier l’exactitude, au moment de leur création, d’éléments rassemblés dans une base de données,
- Les investissements liés à la présentation du contenu de la base de données s’entendent des moyens mis en œuvre afin de conférer à la base de données sa fonction de traitement de l’information.
La Cour jugeait également que « la circonstance que la constitution d’une base de données soit liée à l’exercice d’une activité principale dans le cadre de laquelle la personne qui constitue la base est également le créateur des éléments contenus dans cette base n’exclut pas, en tant que telle, que cette personne puisse revendiquer le bénéfice de la protection par le droit sui generis, à condition qu’elle établisse que l’obtention desdits éléments, leur vérification ou leur présentation, au sens précisé aux points 34 à 37 du présent arrêt, ont donné lieu à un investissement substantiel sur le plan quantitatif ou qualitatif, autonome par rapport aux moyens mis en œuvre pour la création de ces éléments ».
En l’espèce, le Tribunal relève que la société demanderesse a réalisé des investissements en vue d’obtenir le contenu de la base de données, d’en vérifier l’exactitude et de le présenter au public. Ces investissements résidaient notamment dans la conclusion de contrats de prestations informatiques pour la collecte des annonces et des données contenues dans des logiciels de gestion de véhicules, la vérification de l’exactitude des informations fournies par les annonceurs, l’organisation des informations de manière systématique et leur accessibilité individuelle par les utilisateurs au moyen d’outils de classement et de filtrage d’annonces.
Selon le Tribunal, ces investissements remplissent le critère de la substantialité, tant d’un point de vue qualitatif en ce que la société demanderesse met à disposition du public des annonces « finalisées, pratiques, complètes et vérifiées », que d’un point de vue quantitatif en ce que plus de 320 000 annonces figurent sur le site Internet de la société.
Dès lors, le Tribunal conclut que la société demanderesse est fondée à invoquer la protection sui generis dont bénéficie le producteur d’une base de données.
L’illicéité de l’extraction et de la réutilisation de la base de données
La société demanderesse faisait valoir que :
- Le moteur de recherche de la société défenderesse n’interrogeait pas en temps réel son site Internet avant d’afficher les résultats. Elle en déduisait que les annonces étaient nécessairement extraites, reproduites et stockées par la société défenderesse.
- Les informations contenues dans sa base de données étaient mises à disposition du public par la société défenderesse qui, de ce fait, les réutilisait.
- Lesdites opérations d’extraction et de réutilisation portaient sur une partie quantitativement substantielle de sa base de données (57,7% des annonces disponibles sur le site Internet de la société défenderesse provenaient de la base de données de la société demanderesse).
La société défenderesse contestait quant à elle le caractère substantiel de l’extraction et la réutilisation.
En s’appuyant sur la jurisprudence européenne, le Tribunal judiciaire a rappelé que l’extraction était caractérisée par tout acte non autorisé d’appropriation de tout ou partie d’une base de données, quel que soit le mode opératoire utilisé.
En l’espèce, les juges ont constaté que les informations diffusées par la société défenderesse provenaient du site Internet de la société demanderesse et que dès lors, il y avait eu un transfert de données du site Internet de la société demanderesse vers celui de la société défenderesse. Ils ont également constaté que la société défenderesse avait mis ces informations à disposition du public et les avait ainsi réutilisées.
Pour évaluer le caractère substantiel de l’extraction et de la réutilisation, les juges ont relevé que 346 030 annonces publiées sur le site de la société défenderesse provenaient du site Internet de la société demanderesse, lequel contenait entre 324 748 et 355 189 annonces. Ils ont également constaté que la société défenderesse avait reproduit sur son site les informations et photographies contenues dans la quasi-totalité des annonces publiées sur le site de la société demanderesse.
Partant, le Tribunal retient que l’extraction et la réutilisation opérées par la société défenderesse portent sur une partie quantitativement substantielle de la base de données. Par conséquent, la société défenderesse a porté atteinte aux droits de la société demanderesse, ès qualité de producteur de base de données.
Que retenir ?
Par cette décision, les juges réaffirment la nécessité de reconnaître et de protéger les bases de données comme un actif immatériel à part entière.
A ce titre, le Tribunal judiciaire rappelle que l’activité de création de contenu n’est pas exclusive de la qualité de producteur de base de données. Cette dernière nécessite de pouvoir démontrer les investissements substantiels réalisés en vue de la constitution, de la vérification et de la présentation du contenu de la base de données.
En outre, il convient de noter que l’extraction est caractérisée même si les éléments extraits subsistent dans la base de données dont ils sont issus. La reproduction desdits éléments permet ainsi de caractériser l’extraction du contenu d’une base de données.
Enfin, il est confirmé que le caractère quantitativement substantiel est évalué au regard du volume de données extrait et/ou utilisé par rapport au volume de données total contenu dans la base de données.
En conséquence, nous vous recommandons de bien documenter vos droits de producteur de bases de données (contrats, factures, etc.) et de veiller à leur utilisation conforme.