Par un arrêt rendu le 13 juin 2019, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a énoncé que le service Gmail, service de messagerie électronique ne comprenant pas un accès à Internet, ne constitue pas un service de communications électroniques au sens du droit européen (CJUE, 4ème ch., 13 juin 2019, Aff. C-193/18, Google LLC contre Bundesrepublik Deutschland).
A cette occasion, la Cour de Luxembourg a apporté des précisions concernant la notion de « service de communications électroniques », et plus particulièrement sur le critère de « transmission de signaux » émis par un tel service au regard de l’article 2, sous c), de la directive 2002/21/CE du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques, modifiée en 2009.
Quels sont les faits ?
Considérant que le service de messagerie électronique Gmail constitue un service de télécommunications au regard du droit allemand, l’Agence fédérale des réseaux pour l’électricité, le gaz, les télécommunications, la poste et les chemins de fer, Allemagne (la « BNetzA ») a – par une décision du 2 juillet 2012 – enjoint à la société Google LLC de se conformer à son obligation de déclaration sous astreinte.
La société Google a alors introduit un recours auprès de la BNetzA, lequel a été rejeté. La société a ensuite introduit un recours visant à l’annulation de cette décision devant de tribunal administratif en 2015. Ce recours a également été rejeté au motif que le service de messagerie Gmail constitue bien un service de télécommunications au sens du droit allemand, c’est-à-dire « un service fourni normalement contre rémunération, qui consiste entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques. ».
Selon la juridiction administrative allemande, le fait que la transmission de signaux soit réalisée non par Google, mais par des fournisseurs d’accès à internet (FAI) est indifférent ; cette transmission étant l’élément principal du service de messagerie électronique.
La société Google a lors interjeté appel de cette nouvelle décision devant le tribunal supérieur administratif, lequel a décidé de surseoir à statuer et de poser des questions préjudicielles à la CJUE.
Quelles ont été les questions préjudicielles posées à la CJUE ?
La juridiction administrative allemande a posé trois questions à la Cour de Luxembourg (point 25 de l’arrêt), à savoir :
- La notion de « services qui consistent entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques » figurant à l’article 2, sous c), de la directive doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle inclut ou peut inclure les services de messagerie électronique sur Internet qui sont mis à disposition à travers l’Internet ouvert sans pour autant comprendre un accès à Internet ?
- En cas de réponse négative à la première question, la notion peut-elle toutefois exceptionnellement recouvrir la circonstance dans laquelle le prestataire d’un tel service exploite en même temps ses propres réseaux de communications électroniques reliés à Internet, qui peuvent en tout cas être également utilisés aux fins du service de messagerie électronique ? Si oui, à quelles conditions ?
- Comment le critère « fourni normalement contre rémunération » figurant à l’article 2, sous c), de la directive doit-il être interprété ?
Qu’est-ce qu’un service de communications électroniques au sens de la directive ?
La notion de « service de communications électroniques » est définie à l’article 2, c) de la directive 2002/21/CE du 7 mars 2002 modifiée comme » le service fourni normalement contre rémunération qui consiste entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques, y compris les services de télécommunications et les services de transmission sur les réseaux utilisés pour la radiodiffusion, mais qui exclut les services consistant à fournir des contenus à l’aide de réseaux et de services de communications électroniques ou à exercer une responsabilité éditoriale sur ces contenus (…)« . Les services de la société de l’information sont également expressément exclus de la définition.
Un service de communications électroniques doit donc :
- principalement ou entièrement consister en la transmission de signaux sur des réseaux de communication et,
- être fourni contre rémunération.
Au regard de cette définition, la Cour de justice de l’Union européenne a déjà retenu qu’un service de communications électroniques doit comprendre la transmission de signaux et qu’il importe que le prestataire du service soit responsable vis-à-vis des utilisateurs finaux de la transmission des signaux (CJUE, 30 avril 2014, Aff. C-475/12, UPC DTH, point 43).
Quelle est la position de la CJUE concernant Gmail ?
La Cour relève d’abord qu’il ne peut être contesté que le fournisseur d’un service de messagerie électronique procède à la transmission de signaux. Toutefois, la Cour souligne que les opérations d’envoi et de réception des messages réalisées par la société Google pour assurer le fonctionnement du service ne permettent pas d’en conclure que le service Gmail est un service de communications électroniques au sens de la directive.
L’enjeu est en effet de savoir si le service analysé consiste « entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques ».
A cet égard, la Cour de justice relève plusieurs éléments qui la conduisent à écarter la notion de service de communications électroniques s’agissant de Gmail, à savoir :
- les FAI des expéditeurs et des destinataires des courriers électroniques assurent la transmission de signaux et sont responsables vis-à-vis des utilisateurs finaux. C’est également le cas des gestionnaires des réseaux constituant l’Internet.
- le fait que la société Google intervienne activement dans les opérations d’envoi et de réception des messages ne suffit pas pour en conclure que son service consistant entièrement ou principalement à la transmission de signaux.
- la circonstance que la société Google exploite ses propres réseaux de communications électroniques en Allemagne n’est pas de nature à remettre en cause la position de la Cour.
En revanche, la solution pourrait être différente si des éléments permettaient d’établir que la société Google est responsable vis-à-vis des utilisateurs finaux s’agissant de la transmission des signaux nécessaires au fonctionnement du service qu’elle fournit.