Le décret n°2018-1226 du 24 décembre 2018 « relatif à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers et pour l’émission et la cession de minibons » est paru au Journal Officiel du 26 décembre 2018.
Ce décret est pris en application de l’ordonnance n°2017-1674 du 8 décembre 2017 et de l’article L.223-12 du Code Monétaire et Financier. Il précise les conditions dans lesquelles l’inscription de l’émission et du transfert de certains titres financiers et des minibons peut désormais être opérée à l’aide d’une blockchain.
Ce décret d’application entérine la reconnaissance du potentiel de la technologie de la blockchain en droit français, en permettant sa mise en oeuvre concrète.
Blockchain et dispositif d’enregistrement électronique partagé
Rappelons que la technologie de la blockchain permet la tenue d’un registre dématérialisé et décentralisé, partagé entre ses utilisateurs, et comprenant la trace de toutes les transactions réalisées par ceux-ci depuis la création du registre. Grâce à l’utilisation de divers procédés de chiffrement, la blockchain assure également la sécurisation et l’authentification des transactions. Le registre constitué est réputé difficilement falsifiable.
Les textes applicables n’utilisent pas le terme de blockchain, mais celui de « dispositif d’enregistrement électronique partagé ». Cette notion reprend les traits essentiels de la blockchain, puisqu’il s’agit d’un registre électronique, partagé entre plusieurs utilisateurs et devant comprendre des garanties de sécurité. Ce terme présente toutefois l’avantage de ne pas limiter l’application de ces textes à la seule technologie de la blockchain.
Le législateur a en effet souhaité s’assurer que le cadre normatif mis en place puisse s’adapter à l’évolution des technologies et n’exclut pas des technologies qui pourraient être développées ultérieurement (rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n°2017-1674 du 8 décembre 2017).
Deux instruments financiers concernés
Le décret du 24 décembre 2018 précise les conditions de recours à un dispositif d’enregistrement électronique partagé dans deux hypothèses de transfert et d’émission d’instrument financier.
La première hypothèse est celle du « minibon », nom donné au bon de caisse offert au moyen d’un site internet (article L.223-6 du Code monétaire et financier). En 2015, le législateur a habilité le gouvernement à réformer par ordonnance le régime des bons de caisse (article 168 de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques). L’ordonnance n°2016-520 du 28 avril 2016 a ainsi réformé en profondeur le régime des bons de caisses. Elle a notamment prévu que l’émission et la cession des minibons pouvaient être inscrites dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé, sous réserve que celui-ci permette l’authentification des opérations, selon des conditions définies par un décret en Conseil d’Etat (article L223-12 du Code monétaire et financier).
La seconde hypothèse est celle des titres financiers non admis aux opérations d’un dépositaire central de titres (article L.211-7 du Code monétaire et financier). Il peut s’agir de titres négociables, de parts ou actions d’organismes de placement collectif, ou encore d’actions et obligations non cotées. En 2016, le législateur a habilité le gouvernement à réformer par ordonnance le droit relatif à ces titres financiers (loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 »). Après plusieurs consultations et la publication d’un projet d’ordonnance, l’ordonnance elle-même a été adoptée (ordonnance n°2017-1674 du 8 décembre 2017).
Quelles exigences pour le dispositif d’enregistrement électronique partagé ?
Le décret d’application avait pour objet de préciser les garanties, notamment en termes d’authentification et de sécurité, devant être présentées par un dispositif d’enregistrement électronique partagé afin d’y permettre l’inscription des titres financiers ou des minibons.
Il convient de souligner que le législateur n’opère pas de distinction entre les dispositifs d’enregistrement électronique partagés utilisés dans le cadre des titres financiers et des minibons, qui sont soumis aux mêmes contraintes.
Le décret crée un nouvel article R211-9-7 au sein du Code monétaire et financier, qui précise les conditions devant être remplies par le dispositif pour garantir la sécurité et l’authentification des opérations. Ainsi, le dispositif doit :
- garantir « l’enregistrement et l’intégrité des inscriptions » ;
- permettre, «directement ou indirectement, d’identifier les propriétaires des titres, la nature et le nombre de titres détenus » ;
- faire l’objet d’un « plan de continuité d’activité actualisé comprenant notamment un dispositif externe de conservation périodique des données» ;
- permettre au propriétaire des titres enregistrés de disposer d’un relevé des opérations qui lui sont propres.
Le décret précise également les règles applicables au nantissement des titres financiers inscrits dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé.
Un cadre juridique en pleine évolution
Ce décret marque une étape suppplémentaire dans la consécration de la technologie de la blockchain et de son potentiel. Pour le moment limité au seul domaine financier, le cadre juridique de la blockchain est appelé à s’étendre dans les prochaines années, au fur et à mesure de la multiplication des cas d’usages des dispositifs d’enregistrement électroniques partagés.
A titre d’exemple, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a publié le 24 septembre 2018 un guide contenant une première analyse des usages et applications possibles de la blockchain au regard de la protection des données à caractère personnel. A cette occasion, la Cnil évoque également son plan d’action en la matière. Elle indique qu’elle entend se rapprocher de ses homologues européens afin de proposer une approche « solide et harmonisée » de la blockchain au regard de la protection des données à caractère personnel. La Cnil évoque aussi un rapprochement avec d’autres régulateurs nationaux comme l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) et l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) , pour « poser les bases d’une interrégulation permettant aux acteurs concernés une meilleure lisibilité des diverses réglementations applicables à la Blockchain ».
Le Parlement européen a quant à lui adopté une résolution le 3 octobre 2018 portant « sur les technologies des registres distribués et les chaines de blocs : renforcer la confiance par la désintermédiation » (2017/2772(RSP)). Cette résolution expose les enjeux liés à ces technologies et l’intérêt d’élaborer un cadre légal adapté. Le Parlement mentionne à cette occasion non seulement les applications potentielles dans le domaine financier, mais aussi dans de nombreux autres secteurs comme les transports, la logistique, la santé, la distribution ou encore la protection du droit d’auteur.
Enfin, signalons que d’autres utilisations de la blockchain et des technologies annexes pourraient bientôt faire l’objet d’un encadrement juridique en France. En effet, l’article 26 du projet de loi PACTE contient des dispositions sur les « offres publics de jetons », équivalent français des « Initial Coin Offering » (ICO), une méthode de levée de fonds basée sur la blockchain. Le projet de loi doit être examiné par le Sénat en première lecture à compter du 29 janvier 2019.
Pour approfondir le sujet, Mathias Avocats a rédigé un livre blanc dédié à la blockchain et aux interrogations juridiques qu’elle soulève.