Par un arrêt rendu en juin 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation s’est prononcée sur le rôle actif ou passif d’une plateforme de revente de billets d’événements sportifs et culturels, ainsi que sur l’application du régime de responsabilité limitée de l’hébergeur prévu par la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (Cass. com., 1er juin 2022, n°20-21.744).
Pour rappel, cette loi dite LCEN distingue :
- les prestataires techniques d’hébergement (ou hébergeurs), qui bénéficient d’un régime de responsabilité limitée ;
- les éditeurs de contenu, auxquels s’applique le régime commun de responsabilité.
A quelles conditions le régime de responsabilité limitée de l’hébergeur peut-il s’appliquer ? Comment distinguer un hébergeur d’un éditeur de contenus ? Quelle différence y a-t-il entre rôle actif et rôle passif ?
Les faits
Après deux mises en demeure, la Fédération Française de Football a assigné une plateforme de revente de billets d’événements sportifs et culturels en responsabilité civile sur le fondement de l’article 1240 du code civil. Elle demandait qu’aucun billet de matchs qu’elle organisait ne soit offert à la vente conformément à son monopole, ainsi que l’octroi de dommages et intérêts pour le préjudice qu’elle estimait avoir subi.
La Cour d’appel de Paris a jugé mal fondées les demandes de la Fédération au motif que l’article 1240 du code civil n’était pas applicable dès lors que la plateforme bénéficiait du régime de responsabilité limitée des hébergeurs prévu à l’article 6, I, 2° de la LCEN. Les juges d’appel justifient cela par le comportement de la plateforme, lequel a été considéré comme étant « purement technique, automatique et passif, impliquant l‘absence de connaissance ou de contrôle des données qu’elle stocke ».
La Fédération s’est pourvue pourvoi en cassation. Selon cette institution, la plateforme jouait bel et bien un rôle actif puisqu’elle tirait profit de l’intermédiation, qu’elle classait les billets en vente par événement, qu’elle précisait leur date, heure, lieu et qu’elle incitait à la vente et à l’achat par des messages dédiés.
La position de la Cour de cassation
La Cour de cassation infirme l’arrêt d’appel en ce qu’il rejette l’action en responsabilité de la Fédération.
Elle motive son arrêt au visa de l’article 6, I, 2° de la LCEN qui dispose que :
« Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère manifestement illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible ».
LCEN, article 6,I, 2°
Les juges s’alignent également sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui interprète la directive que la LCEN a transposé, notamment la décision Google Inc. contre Louis Vuitton du 23 mars 2010.
La Cour retient ainsi que la plateforme avait un rôle actif en ce qu’elle proposait une assistance aux utilisateurs consistant notamment à sécuriser la transaction, optimiser la présentation des offres à la vente et à promouvoir lesdites offres par des commentaires tels que « tous les matchs de qualification sont à suivre en direct grâce à [la plateforme] qui vous permet non seulement d’acheter mais de vendre vos billets de match de foot ».
Pour la Cour de cassation, ces actes démontrent que la plateforme avait connaissance ou contrôlait les données stockées sur son site, la rendant inéligible au régime de responsabilité limitée des hébergeurs au sens de l’article 6, I, 2° de la LCEN. Le statut d’hébergeur est donc écarté au profit de la qualification d’éditeur de contenus.
Que retenir ?
Cet arrêt rappelle qu’une plateforme de vente en ligne n’est pas à l’abri d’une requalification juridique qui lui serait défavorable. Les marketplaces doivent ainsi être vigilantes quant à leur rôle actif ou passif ainsi qu’à leurs actions pour s’assurer de bénéficier du régime protecteur d’hébergeur.
Les plateformes, dont les marketplaces, devront par ailleurs veiller à se mettre en conformité avec le Digital Services Act (DSA), dont l’adoption est proche.